L’Interprofession des Fruits et Légumes-IFEL vous présente 5 récits de réussite qui relatent les histoires des professionnels de la filière fruits et légumes dont :
Leur point en commun : la classification mise en place en août 2018. Tous ont décidé de travailler avec ces grilles de photos objectives. Ils nous racontent leurs expériences, leurs motivations et leurs désirs d’aller plus loin.
La Coop1 travaille principalement avec les catégories 1 et 2, et elle ne souhaite pas s’arrêter là : pourquoi ne pas proposer plus de catégorie 3, voire même, développer une quatrième gamme ?
Il est trois heures du matin, le ballet a commencé à la Coop1 : les employés zigzaguent entre les cageots, filent vers les camions, empilent les ananas, les tomates, les concombres, les ignames. « Quand les produits arrivent, ils sont déjà triés », explique Gustave, employé à la coopérative. « Nous, on ne fait que vérifier. Evidemment, quand certains produits restent ici plusieurs jours, on refait un tri et on déclassifie si nécessaire dans une catégorie inférieure. »
Ce matin, des citrons devenus très jaunes ont ainsi tout de même pu être vendus pour la fabrication de jus ; des pâtissons rabougris ont quant à eux été achetés à bas prix pour nourrir un élevage. Les critères de tri à la Coop1 ? La taille et la catégorie, telles que définies par l’IFEL. Ce qui n’est pas toujours évident, note Gustave, « surtout pour les tomates : entre la catégorie 2 et la catégorie 3, on hésite encore beaucoup. Mais ça s’améliore avec la pratique. » En moyenne, 85% des produits passant par la Coop1 sont classés catégorie 1 ; près des 15 % restants partent en catégorie 2, et la catégorie 3 est minime, selon Aymeric Moreau, qui gère la coopérative au quotidien.
« Pour nous, c’est intéressant d’utiliser les catégories parce qu’on a une grosse clientèle de détaillants et de transformateurs », souligne Aymeric Moreau. « Le restaurateur par exemple, pour son coulis de tomates, il veut de la catégorie 2. Nous voulons garder cette clientèle-là. » En tout, la Coop1 sert une centaine de clients chaque semaine, et près de deux cent cinquante chaque année. La coopérative traite également avec la grande distribution, les grossistes, les hôtels, sans oublier les cantines, un canal de vente important. « Vingt mille repas au total. Quand ils nous prennent des bananes pour les desserts, c’est deux tonnes qui partent ! »
A terme, la Coop1 aimerait traiter plus de catégorie 3, qu’elle enverrait en laboratoire pour transformation. « Et pourquoi pas même de la quatrième gamme ! », lance Aymeric Moreau. Ces dernières semaines, il a eu plusieurs coups de fil de restaurateurs pour ce type de produits. « Il y a beaucoup de demandes, notamment pour les purées et les frites de patate douce ou d’igname. Aujourd’hui, les tubercules vérolés, on les laisse au champ. Or il y a peut-être un tiers, deux tiers du tubercule qui peut être transformé. Plutôt que de laisser pourrir ses produits au champ, le producteur pourrait les valoriser. Les opportunités sont gigantesques. »
La catégorisation, Emmanuel Guichard l’utilise depuis longtemps à La Fournaise. Ses motivations : éviter le gaspillage, et surtout, satisfaire au mieux ses clients.
A gauche, des grosses tomates toutes rouges ; à droite, les courgettes. Sous les serres, des melons gourmands s’arrondissent. « Les catégories, ici, c’est sur toutes les récoltes ! », lance Emmanuel Guichard. A La Fournaise, son exploitation de La Foa, on cultive aussi de la salade, des poireaux, des poivrons… « On essaye de ne pas trop s’éparpiller et de cultiver certains produits toute l’année », précise le producteur. Le tout est ensuite trié en catégories 1 et 2.
« Par exemple, les concombres télégraphes bien calibrés, sans tache, ça part en première catégorie », explique Emmanuel Guichard en désignant un cageot débordant de cucurbitacées.Les plus tordus sont classés catégorie 2, tout comme les petites tomates et les grosses courgettes. « Par contre, tous les concombres avec des bouts pointus, on les met à part, car ils cassent facilement et ont tendance à pourrir puis à contaminer le reste du cageot. En faisant ce tri, on valorise notre production, d’une certaine manière. Ce n’est pas plus compliqué que ça. »
Cela fait plus d’un an que Emmanuel Guichard collabore avec l’IFEL : l’interprofession savait qu’il pratiquait la catégorisation sur sa production, elle voulait en apprendre plus sur son organisation. « J’utilise les catégories depuis pas mal de temps maintenant », note l’agriculteur. « Ce qui m’a motivé au début, c’est que cela permettait de beaucoup moins gaspiller. Je voulais aussi faire plaisir aux clients. Ils n’ont pas tous le même pouvoir d’achat. Or une grosse tomate et une petite tomate, elles ont toutes les deux le même goût au final ! »
La catégorie 1 de La Fournaise part en distribution, tandis que la catégorie 2 est plutôt préférée par les restaurants et les services de gamelle, qui transforment le produit. En moyenne, estime Emmanuel Guichard, la première catégorie représente 80% de sa production, la deuxième environ 15%. « Mais cela varie évidemment selon la période ; parfois il y a plus de pertes, d’autres fois presque pas. »
Emmanuel Guichard se balade dans les serres, tâte un melon, fait un tour du côté des plants de tomates. Bientôt, les petits fruits encore verts partiront au marché de gros, avec les courgettes et les beaux télégraphes. Mais le producteur s’excuse, il doit filer : il va à Bourail, sur son terrain nouvellement acquis. Désormais, ce sont près de dix hectares qu’il devra cultiver, surveiller, récolter, puis catégoriser. Avec, toujours, l’objectif de « satisfaire au mieux la clientèle ».
Pour Kenji Akinaga, gérant de Natura, grossiste au marché de Ducos, l’adoption des catégories s’est faite naturellement : la demande était là, il n’y avait qu’à se lancer.
Tout a démarré début 2019. Kenji Akinaga remarque que les commandes tournent au ralenti depuis quelques mois. Avec son entreprise Natura, le grossiste travaille principalement avec les restaurateurs, les services de gamelles, les snacks, et quelques magasins : pourquoi la demande n’est-elle pas au rendez-vous ?
Le gérant se rapproche de ses clients, les interroge, les écoute : « En fait, ils cherchent vraiment des produits moins chers », découvre Kenji Akinaga. « Des beaux produits, mais à moindre prix. C’est pour ça qu’on s’est lancé dans la catégorie 2. »
De l’autre côté de la filière, les producteurs répondent sans hésiter aux demandes du grossiste : « Eux aussi, ils avaient de la marchandise qu’ils n’arrivaient pas à placer ! », se souvient Kenji Akinaga. « Au lieu de jeter leurs tomates ou leurs courgettes, je leur ai dit : ‘‘Ramenez-les moi, je vous fais un prix’’. » Six mois plus tard, Natura achète la tomate 500 francs le kilo en catégorie 1, et 350 francs en catégorie 2 ; pour la courgette, la catégorie 1 est à 450 francs, et la catégorie 2 à 200 francs. « On passe donc parfois du simple au double ! Le restaurateur en bout de chaîne est évidemment sensible à cette différence. »
Côté logistique, l’adoption des catégories n’a pas changé grand chose : les producteurs jouent le jeu et trient en amont les produits, qui arrivent au dock dans des cageots peu profonds (pour la catégorie 1) ou plus gros (pour la catégorie 2). Toutes les semaines, Kenji Akinaga vérifie les stocks avec son équipe, et requalifie les produits de première catégorie en catégorie 2 si besoin. « On trie, on pèse à nouveau, on corrige les chiffres dans l’ordinateur, on fait une promo, et c’est bouclé. Ça nous prend une heure en tout. »
En parallèle, Kenji Akinaga suit les formations proposées par l’IFEL, notamment pour améliorer le stockage, « en étant attentif aux températures des frigos ou aux produits entreposés ensemble, par exemple. Tout ça combiné, ça nous évite de jeter, à tous, agriculteurs comme grossistes. Personnellement, je veux vraiment fournir le maximum de produits. Et que tout le monde soit gagnant. » Quid de la catégorie 3 ? « J’ai essayé, mes clients ne sont pas intéressés », tranche Kenji Akinaga. Puis précise, complice : « Une quatrième gamme, par contre, j’y pense sérieusement. »
Derrière Stéphanie, il y a Daniel Eysseric, producteur du réseau Repair et amoureux du beau produit. Pour lui, les catégories sont un bon moyen d’encourager des productions de qualité.
« Tu vois, celle-là n’a pas été pollinisée », lance Daniel Eysseric, accroupi dans les courgettes. « C’est pour ça qu’elle donne un bout pointu. » L’agriculteur écrase l’extrémité de la cucurbitacée entre ses doigts, puis la repose à terre. Les dernières courgettes de la saison ont été récoltées la veille, mais celles-ci, il les laisse au champ. Il ne les vendra pas, aucun intérêt à ses yeux : le mot d’ordre, dans cette exploitation tranquille de La Foa, c’est la qualité.
« Dès le départ, on a toujours misé là-dessus. On a un logo, les gens sont habitués à du beau produit, donc on veut s’y tenir », explique Daniel Eysseric, qui cultive aussi melons et concombres, six hectares en tout. Cela ne l’empêche pas de travailler avec les catégories pour autant : « Avant, quand j’avais des petits melons, je ne les vendais pas », se souvient-il. « Maintenant, je peux les écouler en catégorie 2 à moitié prix sur Nouméa. Et les catégories 3, je les emmène en transformation chez Soury-Lavergne. » Un cageot par-ci, deux cageots par-là : les catégories 2 et 3 demeurent anecdotiques dans les commandes au quotidien. « Mais quand tu fais le total des ventes en fin d’année, ça te donne une belle leçon ! », sourit le producteur.
Parmi ses clients, Daniel Eysseric compte la SCIE, qui « prend toujours beaucoup de volume », et également des clients « plus petits », sur le marché de Moselle, à Boulari, à Pouembout… Il travaille aussi avec Natura : le grossiste demande que la première catégorie soit livrée en petits cageots, la catégorie 2, en gros cageots. Pas vraiment pesant, niveau logistique ; de toute façon, le jeu en vaut la chandelle.
« Pour moi, les catégories sont un moyen de tirer tout le monde vers le haut », confie Daniel Eysseric, qui marche maintenant au milieu des melons, tout juste mis en terre. « Ça fait quelques années déjà que je remarque qu’il y a de plus en plus de beaux produits en Nouvelle-Calédonie, et j’en suis ravi. Malheureusement, il y a également encore des mauvais produits. Les catégories sont donc un bon point de référence. Si on est de plus en plus nombreux à faire de la qualité, ça va peut-être amener ceux qui ne travaillent pas très bien aujourd’hui à travailler un peu mieux à l’avenir. » Le producteur laisse rouler ses yeux sur un jeune plant, puis un autre, puis embrasse du regard la terre qui verra pousser ses fruits pendant de longues semaines. « Et bon, finit-il par glisser, ça fait quand même plaisir d’avoir de beaux produits. »
Plus de revenus, moins de pertes, sans oublier la qualité : la production de l’Est change de visage depuis l’adoption des catégories par l’association Wake Chaa.
Ulda est perplexe : « C’est trop jeune, ça, non ? », demande cette mère de famille de Canala, une chouchoute en main. Gabriella Wabealo, animatrice de l’association Wake Chaa, jette un œil au légume, puis l’envoie en cageot : « C’est bon ! Il faut simplement qu’elles soient grosses et sans piquants », explique l’animatrice, qui agite maintenant une chouchoute terreuse : « Ça, par contre, il faut la laver avant. »
Ulda a oublié, mais la prochaine fois, elle y pensera. Au fil des récoltes, le tri des fruits et légumes s’inscrit doucement dans les habitudes des producteurs de l’Est. Pour eux, trier signifie moins de pertes, donc plus de bénéfices. Et dans ce changement, Wake Chaa y est pour beaucoup.
Porte-parole des producteurs de l’Est, l’association veut valoriser leur production et assurer un juste revenu. Ils sont trois cent soixante-seize à lui faire confiance, dont trois cent soixante-neuf uniquement sur Canala. Ils déposent leurs produits à l’association, qui les achète directement, ou guettent le passage de Freddy, qui récupère les récoltes à domicile.
« Il s’agit principalement de la petite agriculture familiale et des produits issus de la cueillette, comme la papaye et la chouchoute. Avec la banane, l’igname et la citrouille, ce sont les produits les plus récoltés », précise Gabriella Wabealo, signant le chèque pour les chouchoutes d’Ulda. Demain, comme chaque mercredi, les caisses partiront pour Nouméa, sur les étals et dans les marmites des restaurateurs, ou plus proche, à l’atelier de transformation de l’association. En 2017, quinze millions de francs ont ainsi été reversés aux producteurs de Canala.
Mais la même année, l’association enregistrait aussi des pertes, beaucoup trop de pertes. « Surtout dues au mauvais tri et au conditionnement », regrette Gabriella Wabealo. C’est à ce moment que l’idée d’une catégorisation germe, et depuis l’hiver passé, Wake Chaa achète aux producteurs du coin ananas tâché, avocat légèrement piqué et autre banane trop mûre en catégorie 2. « Et puis on a vu que l’IFEL développait aussi les catégories », se souvient l’animatrice. « On s’est dit : autant travailler tous ensemble. »
Wake Chaa décide de reprendre les critères IFEL sur douze fruits et légumes. Les producteurs du réseau adoptent petit à petit la nouvelle catégorisation, notamment encouragés par Freddy, qui vérifie systématiquement les tris lors de ses tournées. « Certains oublient de trier, précise Freddy dans un sourire, alors je le fais. Autrement, les gens font bien les catégories. Pour eux, cela permet d’avoir plus d’argent. » Wake Chaa achète par exemple 250 francs le kilo de bananes en catégorie 1 et 100 francs le kilo pour la catégorie 2. « Face à ces prix, le producteur est motivé pour produire mieux », note Gabriella Wabealo. Et au final, c’est toute la production qui gagne en qualité.